Pensées sur «Un homme à distance» de Katherine Pancol

J’ai publié ce commentaire pour la première fois le 4 décembre 2016 sur ma page facebook.

« Un amour commence à exister quand chacun offre à l’autre le fond de ses pensées, les secrets les plus verrouillés. Sinon, ce n’est pas de l’amour, c’est de l’échange de peaux, de désir immédiat, et l’on se retrouve, détroussé, comme après le passage d’un cambrioleur. »

Voici un passage d’un livre duquel je désire vous parler aujourd’hui. Pas en tant que « critique littéraire », même pas en tant que « recommandation ». Ce que j’envisage de faire c’est parler d’un livre qui m’a touché, et qui me touche toujours, profondément, parler des sujets qu’il évoque et des personnages qui habitent ces 153 pages. Sans aucune évaluation, mais tout simplement comme une suite de réflexions sur un livre par quelqu’un qui aime la littérature avec tout son cœur.

Je suppose qu’il serait mieux d’avoir déjà lu ce livre pour comprendre mon commentaire. Mais faites comme vous voulez, comme je l’ai déjà clarifié, je ne veux pas vous « vendre » un livre, tout ce que je veux est un dialogue honnête et sincère avec vous.

Le livre en question est intitulé « Un homme à distance », écrit par Katherine Pancol. Il s’agit d’un roman épistolaire, comme au XVIIIe siècle, qui nous raconte l’histoire de la correspondance de la libraire Kay Bartholdi avec un de ses clients. Ce qui commence comme une simple liaison professionnelle change très vite quand le discours au sujet des lectures personnelles se transforme peu à peu en discours intime entre deux confidents. Ce qui est fascinant c’est que cette intimité se crée presque exclusivement à travers des œuvres littéraires. Kay et son correspondant parlent des livres qu’ils ont lus et lisent les œuvres recommandés par l’autre. Là on parle des « Carnets de Malte Laurids Brigge » de Rilke, de « Madame Bovary » de Flaubert ou encore de « Les Palmiers sauvages » de Faulkner. En rétrospective, il n’est pas si étonnant qu’une telle liaison est devenue si intime si vite, comme chaque œuvre littéraire qu’on partage avec quelqu’un d’autre, ouvre une porte aux endroits les plus intimes de notre conscience. Mais parlons-en de cette intimité, de cet amour si compliqué entre Kay et cet homme mystérieux. Étant donné que le passage que j’ai cité au début de ce commentaire évoque déjà une question fondamentale de ce livre : qu’est-ce qu’est l’amour ?

« L’amour est un grand menteur, un grand dissimulateur. Il vous force à tout donner puis s’en va, repu, ennuyé, à la recherche d’autres cœurs à dévaliser. Alors on se raccroche à des bouts de bois qui flottent. À une ville qu’on apprend à aimer. À des étrangers qui deviennent familiers, qui pansent vos blessures avec des petits riens… […] On se construit une bulle, on prend la paille qu’on vous tend et on réapprend à respirer. Tout doucement. Avec ces petits riens justement. Ces petits bonheurs de rien du tout, quand le grand bonheur, le bonheur effrayant, le bonheur plus grand que tous les autres vous a déserté. »

Oui Kay, vous avez raison. L’amour est quelque chose de cruel, de malhonnête parfois. Oui, l’amour vous abandonne, l’amour vous laisse seul quand être seul avec vos propres pensées est probablement la dernière chose dont vous avez besoin. Mais lorsque vous parlez de « bulle », des « petits bonheurs de rien du tout » et surtout du « grand bonheur » je ne peux m’empêcher à penser à la pièce de théâtre « Antigone » de Jean Anoulih. Et alors, crie petite Antigone, crie bien fort pour que tout le monde puisse t’entendre:

« Vous me dégoûtez tous avec votre bonheur! Avec votre vie qu’il faut aimer coûte que coûte. On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu’ils trouvent. Et cette petite chance pour tous les jours, si on n’est pas trop exigeant. Moi, je veux tout, tout de suite, – et que ce soit entier, – ou alors je refuse! Je ne veux pas être modeste, moi, et me contenter d’un petit morceau si j’ai été bien sage. »

– Jean Anouilh, « Antigone »

Et voilà aussi, ma chère Kay, la réponse à votre question :

« Pourquoi n’aime-t-on pas les hommes qui restent et vous dispensent de subir les atroces souffrances de l’abandon brutal? Pourquoi a-t-on besoin de sublimes douleurs pour sceller les grandes histoires d’amour? Pourquoi ne retient-on de l’amour que les moments de torture fulgurante? Vous qui êtes un homme et qui avez de l’expérience, pouvez-vous répondre à mes questions? »

Le confident de Kay ne le pouvez pas. Mais moi, je crois que je le peux. « Pourquoi a-t-on besoin de sublimes douleurs pour sceller les grandes histoires d’amour ? » ; parce que c’est dans la folie absolue, dans la plus grande absurdité possible que se crée le véritable amour, l’amour qui te pénètre jusqu’au fond de ton âme et englobe l’intégralité de ta personnalité. Cet amour qui fait trembler tes mains en écrivant le nom de cette autre personne, parce que chaque lettre de leur nom incinère les fondements de l’homme que tu as toujours cru connaître. Voilà le sens de l’amour, voilà le sens de la vie, voilà le sens de tout, hélas ! Trouver cet amour qui te casse mille fois, qui ne te laisse plus aucune seconde en paix parce que tes pensées sont dominées par cet amour si fort que tous, mais absolument tous, tes actions sont des conséquences directes de cet amour insatiable pour une autre personne. Pour revenir à Kay, elle a connu un tel amour :

« Tout ce que je sais, tout ce que j’aime dans la vie, ça vient de toi, […]. Je suis pétrie de toi. Et quand tu es parti… Je ne savais plus rien. Je ne savais plus marcher droite et fière comme une allumette. Mes yeux s’étaient éteints. Je ne savais plus toiser les impudents. Je ne savais plus où le soleil se levait et où il se couchait, je ne savais plus la nuit et le jour, le froid et la tempête, le pain qu’on mange et l’eau qui désaltère. Je ne savais plus rien. »

Devenir fou pour quelqu’un d’autre, même si on ne peut jamais être avec cette personne, simplement parce qu’on l’aime : voilà le devoir de l’homme. Puisque c’est dans cette plus grande de toutes les absurdités qu’on retrouve la liberté du néant absolu. Là où les contrastes et les extrêmes sont les plus forts, là où l’ambivalence est à son point de paroxysme, là où on est incapable de répondre à la question « Qui suis-je ? » : c’est là que les masques tombent, que les questions cessent d’avoir une importance, c’est là que la peur éternelle de l’homme ne le touche plus. Et c’est là où l’artiste doit chercher la création artistique. « Les Fleurs du Mal ». Plus besoin de commenter ce titre du recueil de Baudelaire.

La conclusion : j’aime ce livre. Non pas, parce qu’il est si bien écrit, même pas parce que l’histoire est tellement bien imaginée. Mais parce qu’il s’agit ici d’un témoignage impressionnant de sentiments sincères. Ce livre arrive à faire exactement ce que j’exige moi-même aussi de mes propres textes littéraires : exprimer avec des mots très simples, une vérité très complexe. Finalement, je dois constater que j’ai parlé plus de l’amour que du livre même. Peu importe, selon moi, comme chacun qui a lu Éluard est bien conscient que l’amour et la poésie vont presque toujours ensemble.

Kay et son confident citent plusieurs fois à travers leur correspondance des poèmes d’Emily Dickinson. À la fin, tout ce qui reste à dire, est peut-être condensé dans ce petit poème :

“Love’s stricken “why”

Is all that love can speak —

Built of but just a syllable

The hugest hearts that break.”

– Emily Dickinson

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